Texte de Huguette ( Moinnard - Bonneau ) de et par Emma Sudour

Publié le par le facilitateur d'histoire & compagnie

 

Huguette Moinnard-Bonneau
interprétée  par Emma Sudour

 

 

-     Chut, venez par là, faites pas de bruit... Attendez... Chut... Au guide : Le mot de passe...                       (« Il y a des chats dans les jardins »)

-    C'est bon, ils sont partis. Alors, c'est eux que tu dois faire passer (désignant le groupe) ?

                        Réponse du guide d'un mouvement de la tête.

-         Ben, dis-donc, il y en a un paquet !

Et c'est pas trop tôt, j'étais morte d'inquiétude, moi. Ah, au fait, je me présente : Huguette Moinnard. C'est marqué là, sur la plaque. Bonneau c'est le nom de mon mari. La prochaine fois essaye d'être à l'heure, vous avez bien failli vous faire avoir. Et il se passe quoi si on vous prend ? On vous torture, on vous déporte ou on vous exécute sur place ? Il faut être discret, prudent, et ponctuel. Et question discrétion, cette plaque, elle se pose là ! Un peu plus ils mettaient mon adresse. J'habitais tout près, de l'autre côté du mur, là, au 21 de la rue basse...

Et je ne vois pas pourquoi ils ont mis cette plaque ici ? Comme si d'avoir été Résistante était quelque chose d'exceptionnel ! Pour moi, ça l'était pas, c'était normal : le jour où le maréchal Pétain a annoncé qu'il signait l'Armistice avec les Allemands, j'ai pas cessé de pleurer. C'était insupportable. Ces humiliations, ces brimades que nous faisaient subir les Allemands !

Alors j'écoutais la BBC : « Les Français parlent aux Français », « La voix de la France libre ». Et j'avais qu'une envie, c'était de faire quelque chose pour que la situation change.

Mais comment ? J'avais bien entendu parler de la Résistance, mais c'était pas facile d'y entrer, il fallait des contacts, et puis inspirer confiance. Pendant 3 ans, j'ai guetté la moindre occasion.

Et un jour j'en ai parlé à mon oncle. Il connaissait Louis Michaud, qu'on appelait « P'tit Louis » et qui faisait partie du réseau de renseignement franco-belge « Delbo-Phénix ». Quand je l'ai vu il m'a demandé «  Qu'est-ce que tu sais faire? ». Je savais pas faire grand-chose à vrai dire, mais j'avais envie de

faire quelque chose pour mon pays,
ça oui ! « Je sais taper à la machine (...) » que je lui ai répondu. Alors, il m'a mise en face des risques encourus et de ma responsabilité.  J'ai été accueillie le 1er novembre 43 au sein du Réseau Delbo-Phénix. Les autres agents venaient de tous les horizons, de toutes les classes sociales. Et c'est comme ça que je suis devenue la dactylo de Georges Depraeter, le chef du Réseau.

Ah, j'en ai tapé des comptes-rendus, des synthèses de renseignements sur les mouvements des unités de la Wehrmacht, de leurs envois, de leurs approvisionnement....

Mais j'avais tellement peur du bruit que faisait ma machine, en pleine nuit, dans mon appartement de la rue basse, où il y avait aussi d'autres locataires, que j'ai décidé d'emporter mes documents à dactylographier sur mon lieu de travail, dans ma sacoche. Là-bas, j'avais la chance d'être seule dans mon bureau !

Je
travaillais comme secrétaire comptable pour la Coopérative agricole des Deux Sèvres, rue Alsace-Lorraine. A deux pas de la Gestapo, qui se trouvait dans la même rue ! Mais j'ai jamais changé mon parcours ! Tous les jours je passais devant avec les documents que j'avais tapés ou que je devais taper. Je dis pas que j'ai pas eu quelques sueurs froides, ça, je vous mentirais ! Mais c'était ce qu'il y avait encore de plus sûr... Comment auraient-ils pu se douter que la petite secrétaire qui passait tous les jours devant eux leur cachait quelque chose de si important ?

Mais tout ça n'a duré que quelques mois... Jusqu'au 18 avril 1944 exactement. Pendant ce mois d'avril, le chef du Réseau a été arrêté. Et puis ça devait être mon tour. Pt'it Louis avait envoyé une camarade pour m'avertir que la Gestapo allait venir chez moi. J'ai trouvé le temps de confier les papiers du Réseau à ma camarade qui était la fille de M'sieur Birault et elle lui a transmis les papiers. Lui il était pas du réseau : il était mécanicien au garage Chabot avenue de Paris, qui avait été réquisitionné par les Allemands. Il a caché les papiers dans le double-fond d'une boîte à outil qui se trouvait dans le garage ! Ben oui : les papiers ont été gardés par les Allemands ! Jusqu'à la Liberation !


Quant à moi, au moment même où je quittais mon appartement, les Allemands m'ont arrêtée. J'ai été emmenée à la Gestapo, rue Alsace-Lorraine, puis à Duguesclin, ensuite il m'ont envoyée à la prison de la Pierre Levée à Poitiers, où ils m'ont interrogée
sans ménagement.
Il m'ont transférée
à Fresnes, et au Fort de Romainville d'où je devais être déportée. Mais comme j'étais tombée malade, ils m'ont gardée.


Le 19 août 44, j'ai appris que je devais être fusillée, en compagnie de quelques autres, dans la demie-heure qui suivait. Je suis restée très calme, sereine. Et finalement, grâce à l'intervention du consulat de Suède, nous fûmes échangées, et libérées. On nous a placées dans un couvent et interdit toute sortie, de peur que, pendant la Libération, nous nous prenions des balles.

Mais allez donc retenir quelqu'un qui sort de prison !

Mes camarades et moi sommes sorties en rasant les murs et avons pu assister à la Libération de Paris.

Une véritable explosion de bonheur. Il faisait si beau ce jour-là...


Ah mais je parle, je parle et le temps presse pourtant !

Sachez juste que
si c'était à refaire, je le referais.
Je pense toujours à ceux qui sont restés là-bas dans les

camps nazis : hommes, femmes, enfants, à ceux qui croyaient au ciel, à ceux qui n'y croyaient pas...


Ah ! Encore une dernière chose :

soyez vigilants. Ne vous laissez pas abuser ni manipuler. Cette liberté que nous vous avons transmise et pour laquelle nous avons tant lutté et souffert, sachez la préserver, la défendre, la garder. C'est la plus belle chose au monde. (...)

Pensez-y bien. Pensez-y toujours...

Soyez courageux, généreux, responsables. N'oubliez jamais que vous devez défendre les 3 valeurs qui sont la maxime de notre pays : Liberté, Égalité, Fraternité.

Soyez-en fiers, soyez en dignes...

Allez dépêchez-vous...


Elle laisse le groupe en haut des marches et les regarde partir.

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article